sources de ferments Haut gauche : grains de kéfir, haut droite : penicillium roqueforti cultivé sur du pain, bas gauche : petit lait, bas droite : lait fermenté

Pour faire du fromage il faut essentiellement du lait, des micro-organismes et de la présure. Une partie de ces micro-organismes est généralement ajoutée au lait sous forme de ferments, de même que vous utilisez des levures ou du levain pour faire du pain.

Ferment ou culture de démarrage

Les ferments ou cultures de démarrage, sont ajoutés au lait avant l’ajout de présure. L’ajout de ferments introduit une très grande quantité de micro-organismes (environ 10 à 100 plus que les quantités contenues dans le lait cru2) Dans le cas de l’utilisation de lait pasteurise (soit environ 90% des fromages français), les ferments permettent de repeupler un lait dans lequel tous les organismes on été tués par pasteurisation. Les ferments sont aussi ajoutés dans les fromages au lait cru. Cela permet une bonne quantité de bactéries et levures fromagères qui vont s’installer plus facilement par rapport a des populations d’organismes en minorité. Cela ne veut cependant pas dire que les organismes minoritaires dans le lait n’ont aucun rôle durant l’affinage. Au contraire, même des micro-organismes minoritaires ont un rôle important dans les caractéristiques du fromage final2.

Les ferments jouent plusieurs rôles:

  • ils accélèrent la fermentation
  • ils donnent de la stabilité au procédé de fabrication
  • ils ont un rôle dans les saveurs finales

Par analogie, l’ajout de ferment via des levures ou du levain dans le pain, permet d’obtenir une pate fermentée à cuire en quelques heures. Si vous attendiez que votre mélange eau farine fermente tout seul, cela prendrait plusieurs jours et le gout serait très acide et peu agréable.

Je distingue ici deux types de ferments:

  • les ferments exogènes ou industriels (utilisés dans l’industrie mais aussi très fréquemment chez les petits producteurs)
  • les ferments endogènes (parfois appelés naturels), et qui correspondent à des méthodes plus traditionnelles

Ferments exogènes industriels

Si vous avez déjà fabriqué vos fromages, vous êtes déjà probablement tombé sur des recettes impliquant l’utilisation de ferments mésophiles, ferment thermophiles, bacteria linens etc. Ces ferments sont commercialisés en sachet sous forme déshydratée. Les plus connus sont certainement les ferments pour yaourt, que l’on trouve facilement en supermarché. Ces ferments ne sont pas donnés ! Il faut compter en générale 1€ par litre de lait. De plus, ces paquets contiennent souvent au plus deux ou trois micro-organismes. Ces ferments on été sélectionnés et cultivés par des procédés industriels de manière à les rendre résistants à la déshydratation et à ce que leur activation lors de la réhydratation soit rapide.

Ces cultures sont très standardisées et très pauvres, par rapport à la microflore du lait (qui peut contenir environ 150 espèces de micro-organismes2). Cependant elles présentent deux avantages :

  • elles permettent de réaliser des fromages au lait pasteurise de manière très standardisée (le fabricant de fromage peut se contenter de mesurer température et pH pour passer d’une étape à l’autre) et se passer de connaissances empiriques et traditionnelles
  • utilisées avec du lait cru, elles permettent de se passer d’entretenir ses propres cultures endogènes et d’assurer une certaine stabilité et régularité du produit final (pas de surprise !)

Ces cultures sont utilisées très couramment dans l’industrie fromagère mais aussi chez les petits fabricants. Loin de moi l’idée de porter un jugement. Cependant il est intéressant de se demander comment les fromagers faisaient avant la commercialisation de ces cultures ?

Ferments endogènes (ou locaux/fait maison)

Ce que j’appelle ici ferments endogènes est parfois aussi appelé ferments naturels ou sauvages. Je ne trouve pas ces dénominations appropriées. Le terme *naturel ne veut pas dire grand-chose. Si naturel désigne quelque chose qui a rapport à la nature alors je crois que des ferments même cultives dans une cuisine n’ont plus rien de naturel. Quant au terme sauvage il est encore moins approprié. En cultivant vos propres ferments vous faites aussi votre propre sélection de micro-organismes qui peuvent devenir très différents de vos populations de départ.

Il y a différentes façons d’utiliser des ferment endogènes :

  • par repiquage, soit de petit lait ou de lait fermente
  • avec des grains de kéfir
  • avec des ustensiles entrant en contact avec le lait

Avant l’invention des cultures lyophilisées, les fromagers faisaient déjà de très bons fromages ! Il est important de comprendre que les bactéries, levures et autres organismes sont partout : dans l’air, sur les murs, sur votre peau, sur le matériel etc. Les premières cultures d’amorçage venaient très certainement simplement de l’environnement dans lequel les fromages étaient fabriqués : cuves, moules, etc. Cette pratique est toujours couramment utilisée pour la fabrication du fromage auvergnat le salers. Ce fromage, protégé par une AOP, requiert l’utilisation d’une gerle, un tonneau en bois. Après plusieurs utilisations, des micro-organismes du lait colonisent le bois et créent un biofilm microbien où ils restent bien installés. Les organismes vivant dans ces biofilms fermentent alors toute nouvelle source de lait introduite dans le tonneau. Selon une étude8, l’ensemencement du lait introduit dans une gerle est extrêmement efficace, ne prenant qu’environ une minute !

Le repiquage est une autre technique d’ensemencement beaucoup plus courante aujourd’hui (car posant moins de risques sanitaires). Cela consiste à ajouter une petite quantité de la production précédente dans la nouvelle. De nombreux fromages de chèvres français sont ainsi ensemencés en ajoutant une petite portion de petit lait de la production de la veille. La même technique peut être utilisée en prenant du lait fermenté de la veille (sorte de yaourt, aussi appelé clabber). Cette technique est par exemple utilisée aux Etats-Unis par les fromagers de Parish Hill Creamery5). Cela leur a permis de sélectionner des cultures venant de leur lait cru et continuer à utiliser du lait pasteurisé. Une approche qui peut être une bonne alternative dans les pays où la règlementation sur le lait cru est très règlementée.

Récemment on a vu aussi émerger l’utilisation de grains de kéfir comme alternative (voir cet article). Je n’ai pas connaissance de leur utilisation en France mais je sais qu’elle est pratiquée chez certains artisans canadiens et américains. Cette méthode a aussi été popularisée par David Asher (voir ressources), pour la production de fromages à la maison. Elle est particulièrement adaptée à une utilisation moins régulière (quelques fois par mois), par opposition au repiquage.

Cultures exogènes spécialisées

En France, certains fabricants fromagers d’AOP ou AOC comme le reblochon, le Comté etc se sont regroupés en associations pour produire leur propres ferments et créer des bibliothèques de souches de ferments. Ils travaillent en générale en étroite collaboration avec des laboratoires de recherche. Les fabricants fromagers peuvent ainsi adapter les types de cultures à leur production.

Par exemple, le LIP6, créé par les fabricants des AOC du Massif Central, fournit différentes souches de penicilium roqueforti (champignon responsable des veines bleues). Les professionnels peuvent ainsi tester différentes souches1, ce qui peut être particulièrement intéressant dans le cas du démarrage d’une production. Cela permet d’obtenir un produit régulier et stable plus rapidement.

A ma connaissance, ce type d’initiative est particulier à la France.

Références

[1] Bien choisir son Penicillium, gagner en régularité…, Profession Fromager, vol.86, April 2019

[2] Microflore du lait cru, Collective work animated by CNAOL and GIS Alpes Jura, July 2011

[3] Salers cheese, wikipedia

[4] Comparison of traditional and backslopping methods for kefir fermentation based on physicochemical and microbiological characteristics, D. Kim et al., LWT, 2018

[5] Parish Hill Creamery

[6] Laboratoire inter-professionnel de production

[7] La gerle, le vivant invisible entre traditions et normes d’hygiène Laurence Bérard, Marie-Christine Montel, 2012

[8] Characteristics of microbial biofilm on wooden vats (‘gerles’) in PDO Salers cheese., Didienne et al., 2010

[9] L’art de faire son fromage, David Asher, Editions Ulmer, 2017