micelle au microscope Micelle de caséine vue au microscope (Hristov et al., 2015)

Le lait a tourné, caillé, coagulé, quelle est la différence ? Comment le lait, ce liquide tout blanc peut-il se transformer en quelque chose de solide ? Pourquoi ne peut-on pas faire de fromage avec n’importe quel lait ?

Dans cet article on oublie les recettes et tous les a priori qu’on a en tête sur le fromage. Essayons de comprendre ce qu’est le lait et quelles actions chimiques et physiques peuvent le transformer en fromage.

Quand nous parlons de lait ici nous sous-entendons lait de vache, puisque c’est le lait le plus communément utilisé pour faire du fromage.

Cet article est largement inspiré du travail de vulgarisation de Florian Ronez sur la coagulation du lait. Pour la recette du caillé, veuillez vous référer à cet article.

La composition du lait

Pour comprendre la fabrication du fromage il faut déjà se demander ce qu’est le lait. Il existe différentes races de vaches qui ont été sélectionnées par l’homme depuis plusieurs millénaires pour la production de lait (Holstein, Jersiaises, Montbéliardes, Simmental etc.). Ces différentes races produisent entre 7.000 et 12.000 litres de lait par an. La composition de leurs laits peut aussi varier légèrement (entre 3% et 3,6% de protéines, et entre 3.7% et 4.8% de gras par exemple). La pasteurisation et le temps d’attente entre la traite et la consommation peuvent aussi faire varier la concentration de certaines protéines et vitamines. En moyenne, le lait de vache contient:

  • 88% d’eau
  • 3,2% de protéines (caséines à 80%)
  • 4,8% de glucides (lactose à 97%)
  • 3,2% de matières grasses (triglycérides a 98%)
  • minéraux (essentiellement riche en calcium, potassium et phosphore)
  • vitamines (surtout B12, B2 et A)

Les protéines

Les micelles de caséine

Les caséines constituent environ 80% des protéines du lait. Elles ne sont pas solubles dans l’eau. Les caséines sont fondamentales dans le lait :

  • elles permettent de garder le calcium en suspension et donc de faire du lait un aliment nutritionnel exceptionnel (sans quoi le calcium précipiterait)
  • elles sont le composant essentiel du fromage et déterminent quasiment à elles seules le rendement fromager du lait

Il existe différentes sortes de caséines: αS1, αS2, β et κ. Ces protéines aiment plus ou moins l’eau (hydrophobes) et le calcium. Par mécanisme d’attraction et de répulsion celles-ci s’agglomèrent en petits amas hétérogènes appelés submicelles. Ces submicelles s’agrègent ensuite en plus grosses unités de 10 à 100 submicelles, les micelles. Certaines submicelles contiennent plus de caséines α et d’autres contiennent plus de caséines κ. Ces dernières moins hydrophobes vont se retrouver sur le pourtour des micelles, tandis que les autres se retrouvent au centre de la micelle. Le calcium et le phosphate interagissent aussi avec ces submicelles et aident à lier les submicelles entre elles.

structure d'une micelle Illustration largement inspirée de Le lait et sa coagulation, Florian Ronez

Pour plus de détails sur la structure et les aspects chimiques des micelles veuillez vous référer aux liens donnés à la fin de l’article.

Les protéines du petit lait

Le 20% restant des protéines du lait est constitué essentiellement des albumines et des globulines. Ces protéines sont solubles dans l’eau et ne coagulent pas lors de la formation du caillé. Elles restent dans le petit lait. Ces protéines peuvent être récupérées en chauffant le petit lait. C’est ainsi qu’est fabriquée la ricotte.

La coagulation

La coagulation est le processus qui sépare le lait en caille (une sorte de solide mou) et en petit lait ou lactosérum (liquide). Ce processus peut être le résultat :

  • d’une fermentation à l’aide de bactéries
  • d’une réaction enzymatique avec de la présure

Dans les deux cas, la coagulation correspond à une déstabilisation des micelles de caséines et à leur rapprochement qui finit par donner le caillé. Pour la plupart des fromages, les deux types de coagulation sont utilisés jointement en donnant plus ou moins d’importance à l’un des deux types. Par exemple, le fromage blanc, le Saint-Marcellin, les fromages de chèvre sont des fromages dont la coagulation a un caractère plutôt lactique, tandis que des fromages a pate plus dure comme la tomme subissent une coagulation à dominante enzymatique. L’importance de ces phenomenes impact fondamentalement l’humidite du produit final comme nous allons le voir.

Sur la figure suivante sont illustres les mécanismes de ces deux types de coagulation.

processus de coagulation Illustration largement inspirée de Le lait et sa coagulation, Florian Ronez

Dans le cas de la coagulation par fermentation, les bactéries transforment le lactose en acide lactique. L’acidité du lait augmente, l’effet de répulsion des micelles entre elles diminue. Celles-ci finissent alors par s’agglomérer entre elles.

Lors de l’ajout de présure c’est un mécanisme différent qui opère. La présure, consitutée d’enzymes, va couper en deux les protéines de caséines κ (para caséine κ et fragment CMP) se trouvant en périphérie des micelles. Les micelles sont déstabilisées. La para caséine κ est plus hydrophobe et s’agrège alors aux caséines α. Les micelles se rapprochent alors entre elles. Cette phase s’appelle la floculation. Vient ensuite une troisième phase ou l’amas de micelles se structure en un réseau bien organisé.

On ne peut pas faire de fromage avec n’importe quel lait !

On comprend donc le rôle fondamental des protéines de caséine dans la coagulation et par conséquent dans la fabrication du fromage. Le lait de vache, chèvre, mouton, buffle, renne, yak et zébu contiennent suffisamment de caséines pour être transformés en fromage. En revanche, le lait de chameau et d’humain n’en contiennent pas assez ! Il y a par ailleurs des différences légères au niveau des différentes races de vache. Les vaches jersiaises donnent un lait légèrement plus riche en protéines que leurs compères, rendant leur lait idéal pour faire du fromage.

L’égouttage ou synérèse

Le lait a maintenant coagulé, il se trouve alors dans un état assez stable qui peut faire un peu penser a de la gelée (voir cet article pour la recette et les photos). S’ensuit alors la phase d’égouttage, appelée aussi synérèse par les chimistes. Le but de cette étape est de poursuivre l’extraction du petit lait du caillé.

Suivant le type de coagulation, le caillé a une structure différente. La coagulation acide donne un caillé peu structuré, ce qui rend l’égouttage assez spontané, mais lent et incomplet.

La coagulation enzymatique en revanche donne un caillé très structuré. Le réseau de micelle retient le lactosérum dans des petites poches, ce qui rend l’égouttage spontané plus faible. Il est alors nécessaire d’appliquer:

  • soit une action physique telle que le tranchage, brassage, pressage
  • soit une action physico-chimique telle que le chauffage ou le salage pour extraire le petit lait du caillé.

Lors de la fabrication de la tomme par exemple, le caillé est tranché en très petits morceaux, brassé en chauffant légèrement puis pressé. Ces trois actions permettent d’éliminer un maximum d’eau du fromage.

La structure du caillé a aussi une influence sur l’évolution du fromage, mais laissons cet aspect pour un prochain article!

Références